Cours en ligne N°14
Université ABOU BEKR BELKAID Tlemcen Faculté des sciences humaines et des sociales
Département des sciences sociales Filière : Anthropologie
Cours de Français en ligne
Destinés aux étudiants de Master1 Anthropologie sociale et culturelle
(2ème semestre)
Cours N°14
Ethnies et identités
En sciences sociales, l’évolution des concepts traduit la mutation des perceptions du social. La série sémantique « tribu – ethnie – groupe ethnique – ethnicité – registre ethnique » rend clairement compte des transformations intervenues au sein de la discipline ethnologique dans la perception du groupe culturel. Le dynamisme d’une identité liée à la situation d’énonciation, contenu dans le concept de «registre identitaire », s’oppose en effet fondamentalement au statisme intemporel et quasi-génétique de la notion de « tribu ». Au sujet de cette série sémantique, on peut lire avec intérêt les travaux de Fredrik Barth (1969) et de Jean-Loup Amselle (1985), qui ont très largement contribué à faire cheminer les problématiques de l’identité ethnique. Très vite, le concept occidental de tribu s’avéra insuffisant pour rendre compte des réalités ethnographiques.
L’intérêt de ce type de recherches réside dans le basculement qu’elles opèrent d’une identité conçue comme socle élémentaire de l’individu (la tribu) vers une identité conçue comme idée que l’individu se fait de lui-même au travers des multiples interactions sociales et qu’il cherche alors à atteindre (le registre identitaire). L’identité, généralement située en amont de l’individu, se déplace alors en aval et ne se donne à voir que dans les discours que l’individu produit sur lui-même. L’ouvrage d’Yvan Droz (1999), portant sur le groupe ethnique kenyan des kikuyus, constitue un très bel exemple empirique de la construction dynamique du registre identitaire, notamment le second chapitre de l’ouvrage :«L’invention des kikuyus » (Droz, 1999, pp. 71- 113), qui montre comment une ethnie fictive inventée par l’impérialisme britannique (et les ethnographes) deviendra par la suite le registre identitaire privilégié des populations dans leur lutte pour la conquête du pouvoir politique au Kenya.
Ce sont des réflexions identiques sur le statut de la notion d’« identité » dans les situations de migration que nous livre l’anthropologue Fredrik Barth dans l’entretien qu’il accorde à la revue ethnographiques.org (Monsutti & Pétric, 2005). Dans une toute autre période historique, mais avec des
implications scientifiques comparables, les travaux de Christian Goudineau (2002) s’inscrivent parfaitement dans cette problématique. La construction de l’Histoire (et de ses supports de mémoire) a en effet toujours un lien avec la production des registres identitaires (cf. Daniel Fabre, 2000). L’adjectif qualificatif « traditionnel », qui qualifia longtemps des sociétés pensées comme statiques, sert désormais, en grande partie grâce aux travaux de Georges Balandier, à désigner des groupes sociaux qui entretiennent un rapport à leur propre histoire fondé sur la cyclicité (révolution), afin de les distinguer des sociétés pensant l’histoire dans sa linéarité (perspective messianique ou idéologie du progrès).
Balandier parle en effet de sociétés de la tradition.« Traditionnel » ou « moderne » ne sont donc pas des états de société, mais bien plutôt des manières différentes et historiquement situées qu’ont les sociétés de se penser : « Aucune société n’échappe à la nécessité de se produire elle-même, sans répit, sous la contrainte de sa propre imperfection et de l’événement. Ce travail sans fin allie continuités et ruptures. Aussi n’autorise-t-il pas à opposer de façon mécaniste tradition et modernité. La première n’est pas un fardeau de formes mortes qui imposerait son inertie à la seconde, elle est le fournisseur de mémoires où le présent recherche une part de ce qui est utile à son accomplissement » (Balandier, 1997, p. 238).
L’anthropologie s’attache donc en somme à étudier des systèmes de pensée en construction constante les uns avec/contre les autres, dans des logiques d’alliance, de complémentarité, d’influence réciproque, de distanciation prudente ou d’opposition virulente ; le tout dans un contexte de mutation sociétale redéfinissant sans cesse le sens et les frontières des différentes sphères culturelles. Ainsi, la culture « change tout en résistant et résiste tout en changeant ». Dans la lignée de l’anthropologie dynamique développée par Georges Balandier, nombre d’ethnologues africanistes se sont attachés à démontrer que les cultes africains observables sur le terrain correspondaient plus à des « réinvestissements néo-traditionnalistes » (Mary, 1997) qu’à des religions "traditionnelles". L’idée de rechercher dans des cultes locaux des survivances du passé ou les formes élémentaires d’un religieux originel n’a pas résisté auxthéorisations anthropologiques, non seulement parce que l’absence de traces écrites ou ethnographiques des réalités religieuses précoloniales rendait fictive toute reconstitution du passé, mais surtout parce que « dès la situation coloniale, chaque religion se construit en tant que représentation d’elle-même au sein de sa rencontre avec les autres et à partir du regard de l’autre ».
Questions :
1- Quelle est l’idée générale du texte ?
2- Que traduit l’évolution des concepts en sciences sociales ?
3- Qui a contribué à faire cheminer les problématiques de l’identité ethnique vers la fin du XXème siècle ?
4- Quelles sont les qualifications données à l’adjectif qualificatif « traditionnel » ?
5- Résumez ce texte en quelques lignes ?