Cours en ligne N°13

Université ABOU BEKR BELKAID Tlemcen            Faculté des sciences humaines et des sociales

Département des sciences sociales                                                                    Filière : Anthropologie

Cours de Français en ligne

Destinés aux étudiants de Master1 Anthropologie sociale et culturelle

(2ème semestre)

Cours N°13

Anthropologie et colonialisme

Quand Marcel Mauss – un des fondateurs à la fois de l’anthropologie et de la sociologie française avec son oncle Emile Durkheim – a ouvert l’Institut d’ethnologie (première formation « professionnelle » pour les chercheurs), le public était essentiellement constitué de futurs administrateurs coloniaux et la connaissance ethnologique demeuraient donc perçue et appréhendée comme un outil pour l’action coloniale « mieux connaître pour mieux administrer ». On ne saurait oublier que la situation coloniale facilitait aussi le travail des ethnologues. L’expédition Dakar-Djibouti par exemple (1931-1933) a été menée dans le but de collecter des objets pour le futur « Musée de L’Homme ». Les ethnologues français, en réalité, auront peu pris en compte la situation coloniale dans leurs recherches, comme si ils avaient à faire à une Afrique « authentique » sans que leur propre statut d’occidentaux n’interfère avec ce qu’ils y perçoivent à partir de cette position. De plus, ces mêmes ethnologues se seront montrés peu réactifs vis-à-vis du colonialisme et des extractions de l’armée (à l’exception de Germaine Tillion dans les Aurès qui dénonce ces événements dans un ouvrage publié en 1956).

Du côté britannique, où l’anthropologie était beaucoup plus installée qu’en France, les anthropologues ont davantage documenté les administrations sur les institutions indigènes (connaissances qui seront utilisées pour une forme de gouvernement qui se nomme « indirect rule »). De plus, ces mêmes anthropologues ont été actifs contre le colonialisme (et contre le racisme). Ainsi dans les années 50-60, pendant la décolonisation, les chercheurs qui étaient proches du parti communiste ou de mouvements anti-coloniaux étaient interdits de séjour dans certains pays colonisés. Les anthropologues britanniques, au sein de l’Ecole de Manchester, ont d’ailleurs été les premiers à s’intéresser au monde urbain africain, au monde ouvrier africain, alors même que leurs collègues français privilégiaient l’analyse du monde rural.

Ces travaux de terrain, débarrassés de leur point de vue évolutionniste, vont « découvrir» des formes propres de rationalité, propres aux autres cultures . Des chercheurs, comme Marcel Griaule chez les Dogons, vont mettre à jour la complexité des systèmes de pensée, les constructions symboliques ou les cosmogonies, bref les spécificités des valeurs propres à ces sociétés « exotiques », opposant la rationalité technique et économique occidentale à une rationalité « autre ». En effet, si le séduisant travail de Marcel Griaule (1966) chez les Dogon constitue un des classiques des premiers pas de la littérature ethnologique, c’est parce qu’il a su montrer, à travers de riches entretiens avec le sage Ogotemmli, que les activités agricoles, les modes d’habitat, les précautions rituelles, les pratiques alimentaires,… de cette peuplade du Mali s’inscrivaient harmonieusement dans une structure cosmologique englobante. Cet ouvrage fut publié en 1948 dans un contexte scientifique où les cultures africaines étaient encore très largement perçues comme des modes de pensée d’une simplicité "infantile".

L’ouvrage de Marcel Griaule s’inscrit donc clairement en réaction à ces représentations ethnocentrique et vise à rendre aux africains leur complexité (« l’esprit souffle dans toutes les têtes »). Mais ce progrès a été payé d’un désintérêt pour les dynamiques historiques et une orientation vers une perspective statique et « traditionnaliste ». À cheval entre science et littérature, cet ouvrage de Marcel Griaule fut l’objet de nombreuses critiques au sein même de la discipline ethnologique. On lui reprocha notamment la confiance absolue dépourvue de regard critique qu’il accorda aux paroles d’Ogotemmli et l’excès d’harmonie structurale qui émergea de l’ouvrage. Il est en effet possible que l’auteur ait trop vite pris pour argent comptant les déclarations du vieux chasseur aveugle ou que ce dernier ait consciemment créé l’harmonie d’un système pour que le raisonnement rationnel du savant puisse ordonner des représentations que les Dogon mobilisent constamment sans qu’une logique rationnelle globale leur soit nécessaire. Toujours est-il que dans cet ouvrage, l’ethnologue met à jour une « étonnante aptitude des Dogons pour la spéculation systématique, et non les élucubrations puériles qu’on attendrait d’une "mentalité prélogique" ».

Question :

1-     Donnez un autre titre à ce texte ?

2-     Quelle est l’idée générale de ce texte ?

3-     Comment l’anthropologie a-t-elle servie les administrations coloniales en France et Grande Bretagne ?

4-     Quels sont les ethnologues qui ont fortement contribué à lutter contre les représentations ethnocentriques en Europe ?

5-     En quelques lignes, et selon ce texte résumez les points forts de l’ouvrage de Marcel Griaule ?