Caractéristiques dynamiques des modèles forestiers
Caractéristiques dynamiques des modèles forestiers
Si l'on se place du point de vue des fonctions de réponse des constituants biologiques majeurs des grands écosystèmes forestiers méditerranéens au regard du stress climatique, des contraintes géo-pédologiques et des perturbations naturelles ou provoquées par les actions anthropozoogènes, on peut d'un point de vue théorique distinguer trois grands modèles d'occupation spatiale (Barbéro et Quézel 1989) dont les caractéristiques essentielles sont fournies sur la figure ci-dessous.
Le modèle expansionniste
Il est représenté pour l'essentiel par des conifères comme le Pin d'Alep, le Pin mésogéen, le Pin sylvestre, le Cèdre et à un moindre degré certaines races de Pin noir ( Pinus clusiana en Espagne) , qui accusent une bonne sélection biologique due à une fertilité précoce ( 10 ans en moyenne), une forte production de graines résistantes aux attaques parasitaires et autres formes de prédation. Au sein de ce modèle deux grandes catégories peuvent être distinguées :
a.- Les conifères généralistes Ils sont caractérisés par des graines légères, peu parasitées, riches en protéines, qui leur assurent une bonne survie dans les différents types de milieux. Ces conifères peuvent, par une excellente sélection écologique, ajuster leurs populations aux contraintes trophiques favorables et défavorables et au stress climatique stationnel et général. De plus l'adaptation des graines à un transport facile par le vent (anémochorie) est un facteur essentiel de leur forte sélection spatiale. A ce groupe peuvent être rapportés le Pin d'Alep, le Pin sylvestre et le Cèdre.
b.-Les conifères opportunistes Pour ce groupe le pouvoir de dissémination et donc de sélection spatiale est toujours bien affirmé mais il est limité par les exigences écologiques de ces essences (besoin des plantules en eau, refus du calcaire actif dans les sols). Peuvent être cités le Pin mésogéen, le Pin pignon, mais aussi le Pin noir dont le pouvoir de sélection écologique est peu marqué.
-Les peuplements constitués par ces conifères sont bien adaptés au stress climatique puisque, pour le Pin d'Alep par exemple, au niveau du bassin méditerranéen occidental la durée de la période de sécheresse estivale suivant les bioclimats peut s'étaler entre 1 et 6 mois. Les Pineraies supportent aussi toutes les situations de contraintes édaphiques depuis les protorankers et les protorendzines jusqu'aux sols les plus évolués où le principal facteur limitant leur extension est alors la concurrence des feuillus mieux adaptés (Abbas et al. , 1985, 1986).
La bonne sélection spatiale rend compte de la très forte hétérogénéité des peuplements et donc de classes d'âge, traduisant l'excellent dynamisme de ce modèle où jouent les mécanismes de compétition par exploitation. Les jeunes individus ont une croissance rapide et donc une forte production en biovolume qui leur assure une bonne concurrence interspécifique dans les peuplements denses de fruticées où dominent des espèces de stratégies "R" ou à fort pouvoir de recepage.
-Du point de vue de la résistance aux perturbations, ces conifères expansionnistes sont bien adaptés tant aux actions humaines (régénérations faciles après coupes, compatibilité avec le parcours en sous-bois) que naturelles (bonne reprise après incendies par régénération à partir des peuplements porte-graines épargnés ou après chablis, qui créent des trouées favorisant le jardinage naturel des peuplements (Abbas, Barbéro, Loisel, 1984) .
Ces particularités sont à l'origine de la très grande hétérogénéité spatiotemporelle des structures et architectures selon les modalités suivantes :
Peuplements jeunes :- issus de colonisations récentes en zones ayant subi des perturbations répétées par le feu qui a pu par sa régularité, éliminer la quasi-totalité des espèces rejetant de souches. En sous-bois dominent alors les Cistacées, Papilionacées, Labiées. Après incendies la résilience est nulle car l'écosystème est entièrement détruit mais la vitesse de cicatrisation du milieu est rapide car le temps de génération pour retrouver les constituants initiaux du peuplement est court.
- issus de colonisation récente par les Pins installés après incendies mais dont les structures sont dominées par des espèces rejetant de souche :
Pinèdes à Chêne kermès, Rhamnus div. sp. , Pistacia, Myrtus, Osyris. Après perturbation la résilience est moyenne et la vitesse de cicatrisation du milieu très rapide.
Ces deux ensembles sont constitués d'espèces très inflammables et très combustibles (Delabraze, 1985) et donc très vulnérables aux incendies. Peuplements évolués où les perturbations de type incendies ne se sont pas manifestées. Au sein de ces pinèdes dominent des sclérophylles et des feuillus pouvant être issus de rejets de souche ou francs de pied installés par ornithochorie , Dans ces structures sont présentes à la fois des espèces peu et très inflammables ce qui impose , en terme de gestion à leur niveau , des débroussaillements sélectifs.
Le modèle de résistance (cf. Fig. 6)
Hormis certaines formations à Conifères comme Tetraclinis, ce modèle réunit la plupart des peuplements de feuillus sclérophylles (Acacia, Argania, Pistacia sp., Rhus sp . , Olea, Ceratonia, Quercus) . Ceux-ci sont caractérisés par une forte sélection écologique et donc un bon ajustement au stress hydrique estival pouvant durer de 1 à 6 mois suivant les régions. Ils montrent aussi, au moins certains d'entre eux comme le Chêne vert, une forte plasticité climatique, Ouercus rotundifolia par exemple occupe au Maroc, la plupart des ensembles bioclimatiques entre le semi-aride et le perhumide et de leurs variantes depuis l'extrêmement froid jusqu'au tempéré, voire au chaud (Barbéro, Quézel, Rivas-Martinez, 1981), soit du thermo au montagnard méditerranéen.
Cette adaptation au stress climatique s'associe à des possibilités d'installation et de maintien sur tous les types de substrats depuis les roches mères diaclasées sur calcaires , dolomies et silice jusqu'aux sols bruns forestiers typiques. Ces particularités adaptatives sont probablement à mettre en parallèle avec un fort polymorphisme des populations (Yacine, 1987).
Si la sélection écologique de ces essences est bonne il n'en est pas de même par contre de la sélection biologique. En effet le temps de génération est long et quatre à cinq fois plus élevé que dans le modèle précédent (âge à la fertilité de 40 à 60 ans nviron), de plus la d issém i nation à distance des g raines est faible et nécessite l'action des animaux ; la plupart est soumise à la prédation et aux effets du parasitisme.
Ces particularités rendent compte de la faible sélection spatiale de ces peuplements à sclérophylles dont l'installation de jeunes individus ne se produit actuellement qu'au sein des structures non perturbées du modèle expansionniste précédent. Par contre lorsque celle-ci est acquise le pouvoir de concurrence interspécifique de ces espèces de stratégies " K" dont la longévité est grande (plusieurs siècles) leur assure la possibilité de se substituer aux Pins de façon définitive.
Les études de production comparée dans des peuplements âgés de Pinus halepensis ( A b bas , 1 986) et de Quercus ilex (Miglioretti, 1 987) démontrent l'avantage à l ' i nvestissement végétatif d u Chêne.
En ce qui concerne la résistance aux perturbations celle-ci est optimale et résulte tout naturellem e n t d e s f o rte s capacités de s é l ect i o n é co l o g i q u e d e ces essences. Qu'elles soient provoquées par l'homme (coupe à blanc des taillis et fûtaies, émondage fourrager) , ou qu'elles résultent d'i ncendies sauvages ou de chablis, ces pertu rbat i o n s a u ro nt p o u r con séquence un rejet de souche extrèmement rapide ou une émission de rejets sur rameaux et brins qui assureront une occupation en biovolume rapide.
Cette aptitude au rejet (Migliorett i , 1 9 87) est d ' a u t a n t p l u s marquée que les contraintes édaphiques sont fortes et que la perturbation est répétée. Ces perturbat i o n s , d o n t l a fréq u e n ce et l'intensité ont varié dans l'espace et le temps, endent compte de la très forte hétérogénéité géographique des structures et architectures des formations à sclérophylles méditerranéens. Il peut s'agir de paysages à physionomie homogènes dans les zones fréquemment incendiées ou exploitées à courtes rotations (taillis) où une espèce dominante occ u pe a l ors l ' es pace ( C h ê n e kermès, Chêne vert) o u plus diversifiés dans les zones de non perturbation ou de fûtaies à sclérophylles s'organisent actuellement avec un cortège exclusif de sclérophyl les forestiers ( Viburnum tinus, Phillyrea media, Ruscus aculeatus) et de lianes (Smilax aspera, Lonicera implexa) .
Le modèle de résistance est d o n c par exce l l e nce le m i e u x adapté aux stress, contraintes et perturbations, notam ment celles dues aux incendies (feux d'écobuage ou feux sauvages) qui ont favorisé par leur répétitivité dans ces écosystè m e s l ' i n st a l l at i o n d ' autres espèces sclérophylles c o m m e Pistacia, Phillyrea, Arbutus, etc . . . ou des arbustes de stratégie "R" comme Cistus, Calycotome, Ulex et Osyris.
E n f o n c t i o n d e s st raté g i e s ad aptat ives d e l a p l u p art d e s constituants d e s forêts s c l é rophyl les vis à vis des perturbations (Margaris, 1 981 ) et de la prise en compte des évolutions actuelles de leurs structures en situation de non perturbation se trouve posé au moins au nord de la Méditerran ée le problème de l 'extension secondaire des formations ·sclérophylles. Celle-ci serait due pour l ' e s s e n t i e l a u x p e rtu rbat i o n s anthropozoogènes ayant favorisé les sclérophylles par rapport aux espèces à feu illage caduc. Une telle hypthèse trouve son support dans les résu ltats des analyses palynologiques (Pons 1 981 ) mais a u s s i p é d o a n t h raco l o g i q u e s (Thinon 1 978) qui révèlent l'extension des sclérophylles de façon contemporaine au développement des actions humaines et en particulier à la destruction des forêts de Quercus pubescens installées sur les sols les plus profonds. Elle est aussi confirmée par les bilans de production au n iveau des peup l e m e nts m é l a n g é s de C h ê n e p u b e s c e n t et d e C h ê n e v e rt (Miglioretti 1 987) . Quercus pubescens e n effet i n v e s t i t p a r u n dépressage précoce dans la croissance en hauteur et en diamètre tandis que Quercus ilex dans les mêmes stations produit de nombreux brins et une quantité importante de bio m asse f o l i a i re q u i expliquent s a moins bonne résistance à la concurrence.
Après pert u rbation dans les peuplements à sclérophylles la résilience est forte et la vitesse de c i cat r i s at i o n rap i d e g râce a u pouvoir d e rejet extraordinaire des souches alors que, nous l'avons vu plus haut, le temps de génération est très long.
Modèle de stabilisation (cf. Fig . 7 )
Il réunit les essences forestières à faible sélection biologique dont l'âge à la fertilité est le plus élevé. Comme dans le modèle précédent, la production de graines est importante mais très irrégulière et les obstacles à la dissémination des diaspores lourdes sont grands . Les animaux assurent celle - ci de façon irrégulière. Le parasitisme et la prédation sont marqués et les jeunes plantules une fois installées sont moins résistantes que celles des essences sclérophylles. La sélection écologique réduite de ce modèle est illustrée par les exigences bioclimatiques des principales essences qui s'y rattachent, et qui restent cantonnées aux ensembles sub - humide , humide et per-humide, dans des stations où le stress hydrique qui peut du rer de 1 à 3 mois est souvent compensé par la qualité trophique des substrats (sols profonds à bon bilan ionique et hydrique ) . L'adaptation à des contraintes extrêmes est donc peu marquée.
Faibles sélections biologique et écologique limitent donc l ' extension des peuplements caractéristiques de ces essences qui comprennent en Méditerranée occidentale les Chênes à feuillage caduc ( Quercus pubescens, Quercus pyrenaica, Quercus faginea, Quercus canariensis, Quercus afares, Quercus cerris, Quercus frainetto voire Ostrya et Carpinus orientalis) mais aussi des conifères comme les Sapins méditerranéens ( Abies pinsapo, Abies maroccana, Abies numidica) et diverses races méditerranéennes d'Abies pectinata.
La plupart de ces essences appartenant au type "K" investissent dans la longévité et une production de biomasse continue et étalée sur plusieurs siècles ce qui leur confère une bonne aptitude à la concurrence en peuplements mélangés y compris en association avec les sclérophylles.
Au niveau de l e u rs peuplements qui présentent une faible hétérogénéité spatiale mais aussi une g rande hétérogénéité architectu rale (organisation verticale)
les mécanismes de compétition par interférence jouent à plein. En l ' a b s e n c e de p e rtu rbat i o n ce modèle présente u ne forte homeostasie.
Par contre la résistance aux p e rt u r b at i o n s e s t b e a u c o u p m o i n s m arq uée que précédemment. Si la plupart des espèces co n st itutives des p e u p l e m ents recèpent ou rejettent à l'occasion d ' i nterventions i rrég u l ières cela n'a rien de comparable avec ce q u i se passe p o u r les sclérophylles. De plus, ce modèle est très mal adapté à des cycles de p e rt u rb at i o n s r ég u l i e r s et d e fortes fréq uences e t i ntensités (incendies, coupes). Ces caractères plaident en divers points de la rég ion nord-m éd iterranéenne en faveur du remplacement des caducifoliés par les sclérophyl les sous l'action d ' i ntenses actions arthropozoogènes.
Néanmoins, au regard des perturbations de type feu sauvage, ce modèle présente une protection optimale. Celle-ci est due à la forte stratificat i o n des p e u p l e m ents évolués : strates arborescente m ajeure et mineure im portante , strate arbustive moins dense , strate herbacée réduite. D e plus la plu part des constituants de ce modèle sont peu inflammables et peu combustibles.
Après perturbation répétée, la résilience est faible, la vitesse de c i catri sat i o n m o ye n n e , ce q u i représente autant d'obstacles à l'extension spatiale de ce modèle quand on sait, par ailleurs, que le temps de génération est encore plus long q u e pour les sclé rophylles.